Vies sauvages et vagabondes : les retours des stagiaires

  • SĂ©bastien Porte, journaliste ayant participĂ© aux 4 jours d’immersion sauvage, la 1Ăšre partie du stage “Vies sauvages et vagabondes 2017“. Article paru dans TĂ©lĂ©rama le 04 aout 2017 :

http://www.telerama.fr/sortir/sauterelles-racines-et-feu-sans-allumettes-j-ai-teste-un-stage-de-retour-a-la-vie-sauvage,161472.php

 

https://www.lemondeadeux.com/apprendre-a-vivre-de-rien-labondance-au-naturel-vie-sauvage-et-vagabondage

https://www.lemondeadeux.com/stage-vie-sauvage-et-vagabondage

 

Immersion en pleine nature avec Kim Pasche et Nans Thomassey pour un voyage au cƓur de l’essentiel.

Reportage : Paul Villecourt / outdoor-reporter.com

La couleur est annoncĂ©e : cet article ne parlera pas de canoĂ« ni de kayak, mĂȘme si les deux animateurs du stage vĂ©cu pour ce reportage ont souvent barbotĂ© une pagaie Ă  la main. Une couleur verte donc, intensĂ©ment, celle qui nourrit, qui apaise et qui peut aussi lier les hommes quand ils enlĂšvent la montre et laissent le portable Ă  la maison. L’histoire se dĂ©roule au fin fond de la DrĂŽme, quelque part dans les montagnes du Diois. Elle pourrait se passer n’importe oĂč, tant que la route est assez loin et la nature assez inspirante pour dĂ©crocher du quotidien et tenter une expĂ©rience toute simple : vivre 4 jours en forĂȘt, sans nourriture et avec le strict minimum. L’attrait pour ce genre de stages est assez tendance et les offres sont aujourd’hui trĂšs diverses. Certaines sont plutĂŽt axĂ©es « survie » considĂ©rant que la nature est hostile. D’autres ont une approche plus scientifique en visant une connaissance approfondie des plantes comestibles. Aux Etats-Unis notamment, des stages pourront durer plusieurs mois, Ă  la recherche d’une autonomie totale ! 

Celui-lĂ  se nomme « vie sauvage et vagabonde » et comme tous les autres, il est Ă  l’image de ses animateurs : Kim Pasche et Nans Thomassey. Tous deux sont des pointures dans leurs domaines, des experts reconnus qui ont acquis leur savoir sur le terrain. Kim Pasche est Suisse. La trentaine, il ne ressemble pas au clichĂ© de coureur des bois qu’il est pourtant. Petit bonhomme au regard clair, il partage son temps entre la Suisse et le Yukon (Canada) oĂč il a acquis une concession de trappe. Sur un territoire grand comme plusieurs dĂ©partements, il ne chasse pas pour faire commerce, mais dans une quĂȘte expĂ©rimentale Ă  la recherche des « premiers gestes ». Il se prĂ©sente lui-mĂȘme comme un chercheur dans ce domaine et son expertise est reconnue Ă  l’échelle internationale puisqu’il intervient dans plusieurs universitĂ©s. Quel parcours pour ce garçon qui n’aimait pas l’école et qui est parti dĂšs l’ñge de 19 ans se former auprĂšs des peuples primitifs d’AmĂ©rique du Nord ! Nans Thomassey, quant Ă  lui, est un expert de la vie vagabonde, notamment filmĂ©e dans l’émission « Nus et culottĂ©s » sur France 5. Avec son ami « Mouts », ils se lancent des dĂ©fis et commencent chacun de leurs voyages, dans le plus simple appareil (nus) et sans argent. Boire le thĂ© avec un lord Ecossais, faire de l’avion-stop, parcourir 400 km en mobylette Ă  la recherche d’un druide sont quelques-uns des prĂ©textes leur permettant de vivre ce qu’ils aiment le plus au monde : retrouver le dialogue et rĂ©veiller l’écoute de l’autre. La trentaine Ă©galement, les yeux pleins d’un enthousiasme communicatif, il a acquis sa fibre « pleine nature » sur les bancs du lycĂ©e « sport nature » de Die. ElĂšve douĂ©, il a ensuite quittĂ© son boulot d’ingĂ©nieur pour devenir rĂ©alisateur/voyageur, docteur es vagabondage !

Rendez-vous dans une petite gare. Premiers bonjours courtois. Covoiturage vers le col le plus proche. Les 8 participants ne savent presque rien de ce qui les attend. On prĂ©pare alors le paquetage. Une consigne : sĂ©lectionner l’essentiel. Sac de couchage, matelas de sol, de quoi avoir chaud, un couteau. Le reste est superflu. Les tĂ©lĂ©phones sont Ă©teints et rangĂ©s, les montres enlevĂ©es. Avant de prendre le chemin qui s’enfonce dans la pampa, un dernier « vrai repas » est partagé : lentilles et pastĂšque. Mais d’abord, les prĂ©sentations. Nans demande Ă  chacun de former un binĂŽme et chacun prĂ©sentera son alter ego tour Ă  tour. La cohĂ©sion s’installe au fur et Ă  mesure que chaque personne dĂ©voile ses motivations ou plutĂŽt celles de son partenaire. On est tout de suite dans l’un des domaines de prĂ©dilection de Nans : l’empathie. Il y a lĂ  Guilhem (les prĂ©noms ont Ă©tĂ© changĂ©s), 32 ans, grand voyageur qui vient faire un retour aux sources. Laurent : 27 ans : Parisien qui n’aime pas Paris, informaticien souhaitant se perfectionner en techniques primitives avant de partir pour un long voyage en Chine. Sophie, 22 ans, dĂ©jĂ  grande baroudeuse, en prĂ©paration pour un tour du monde sans argent. AdĂšle, 30 ans, souffrant d’un burn-out au travail et voulant se reconnecter avec la nature avant de partir elle aussi pour un voyage autour du globe. Isabelle, 34 ans, fatiguĂ©e par son boulot dans la valorisation du patrimoine, en quĂȘte de sens et de nature. EugĂšne, 23 ans, jeune Ă©tudiant forestier, voulant dĂ©jĂ  tenter de vivre un an en autonomie totale. Bernard, 62 ans, adepte de la simplicitĂ© volontaire, voulant mieux comprendre la nature pour la transmettre Ă  ses petits enfants. Madeleine, sa compagne, vivant en colocation multi gĂ©nĂ©rationnelle, Ă  la recherche de plus de simplicitĂ©, traumatisĂ©e par les attentats qu’elle a vĂ©cus de prĂšs. Les prĂ©sentations ont largement inclus les motivations de chacun. Nans justifie la mĂ©thode : « on peut partir dans le plus simple appareil, mais jamais sans notre motivation profonde, car c’est elle qui va nous permettre de sortir de notre zone de confort et donner du sens Ă  tout ce que nous allons vivre durant ces quelques jours ». Message reçu. Il est temps de plonger


L’essentiel.

Juste 1 h 30 de randonnĂ©e, mais certains vont vite en baver. La cohĂ©sion de groupe Ă©tant l’une des premiĂšres lois d’une telle expĂ©rience, le marcheur le plus faible est mis devant et le reste de la troupe progresse Ă  son rythme. Il parait que les loups font de mĂȘme. Sur le chemin, les pommiers sauvages et nĂ©fliers rassurent ceux qui ont peur de manquer. A la confluence entre deux ruisseaux, Kim nous prĂ©sente le camp de base de ces 4 jours. L’installation est plus que rapide ! Les mieux Ă©quipĂ©s mettent une bĂąche ou un hamac. DrĂŽle d’impression une fois le camp monté : et maintenant, que faire de son temps ? Chaque membre du groupe semble se poser mille questions, comme s’il se rendait compte juste Ă  l’instant de la rĂ©alitĂ© d’un tel sĂ©jour. L’équipe se rassemble, un cercle se forme et Nans propose un premier rituel qui se fera plusieurs fois par jour : la « mĂ©tĂ©o ». Chacun est invitĂ© Ă  exprimer comment il se sent Ă  cet instant : enthousiasme, peur, sensibilitĂ© Ă  fleur de peau, impatience de dĂ©buter l’apprentissage
 Les sentiments sont trĂšs variables et on sent dĂ©jĂ  l’effet de la nature qui opĂšre dans la façon dont les membres du groupe commencent Ă  se dĂ©voiler. Kim entre dans le vif du sujet en abordant les besoins de base. 

L’eau : Ă©videmment, les ruisseaux feront l’affaire pour boire, mais Kim explique que l’homme a vite fait de les contaminer (il y a forcĂ©ment d’autres usagers en aval). Il annonce alors quelques rĂšgles : pour la toilette, il faut idĂ©alement se laver et se rincer en dehors du lit du ruisseau. Si toute action a un impact, il s’agit de le minimiser. Ainsi, le savon sera plus facilement filtrĂ© par la terre. Pour faire ses besoins, notamment la grosse commission, il est conseillĂ© de procĂ©der le plus naturellement possible en privilĂ©giant la mousse et en oubliant le papier. Une bouteille d’eau complĂštera le nettoyage. Quant au souvenir laissĂ© dans les bois, il contribuera au cycle de la vie. Pour le lavage des mains, un peu de cendre (contient de la potasse, l’un des Ă©lĂ©ments du savon ; on peut mĂȘme se brosser les dents avec !) et d’eau feront trĂšs bien l’affaire. Ces premiers conseils peuvent sonner comme des lubies de « bobos », mais on s’aperçoit vite Ă  quel point un tout petit groupe peut impacter lourdement son environnement immĂ©diat.

La nourriture : il ne faudra que quelques heures pour rĂ©aliser qu’une alimentation uniquement basĂ©e sur la cueillette est une utopie, en tout cas pour l’homme moderne qui n’a pas une trĂšs bonne connaissance des plantes comestibles. Kim indiquera un maximum de plantes dans les environs du camp et il ne surprendra personne en annonçant que la chasse et la pĂȘche ne seront pas abordĂ©es pendant les 4 jours. La cueillette occupera donc la plupart des journĂ©es : baies, feuilles, fruits sauvages, noisettes. Dans une sociĂ©tĂ© d’abondance, il est intĂ©ressant de dĂ©couvrir les quantitĂ©s nĂ©cessaires pour nourrir ne serait-ce qu’un petit groupe ! Allez rassasier 10 personnes avec des noisettes ! Les moins chasseurs prennent alors un sacrĂ© recul sur la chose
 Nul doute que par nĂ©cessitĂ©, les techniques de chasse et de pĂȘche doivent s’apprendre assez vite ! Ne tournons pas autour du pot (en plus, il est quasiment vide) : le groupe aura faim ! Les adeptes du jeĂ»ne savent que l’estomac commence Ă  s’habituer au manque au bout de 4/5 jours, mĂȘme si celui-ci ne disparait jamais. Ce stage ne se positionnant pas comme une expĂ©rience extrĂȘme, 150 g de farine par jour et par personne permettront de tenir le coup (cette nourriture de base est utilisĂ©e par de nombreux adeptes de l’aventure en autonomie). Avec un peu d’eau, on fabrique une pĂąte avec laquelle on forme des petites galettes (chapatis) directement jetĂ©es dans la cendre, tout Ă  cĂŽtĂ© de la braise. 2 ou 3 par personne le matin, autant le soir : les plus gloutons apprennent Ă  bien mĂącher, c’est garanti ! Des pestos Ă  base de noisettes et de feuilles comestibles peuvent aussi complĂ©ter cette pĂąte cuite, alors prĂ©sentĂ©e sous forme de raviolis ou de cannellonis.

Le feu : c’est le sujet prĂ©fĂ©rĂ© des adeptes de la vie sauvage. Mais lĂ  encore, les instructeurs sont pragmatiques : quand on a un briquet, on s’en sert ! Evidemment, Kim montrera plusieurs façons d’allumer un feu (frottement du bois, percussion lithique
) Ce moment est Ă  chaque fois littĂ©ralement magique. Les techniques d’allumage sont l’objet de nombreux livres et il serait osĂ© de les aborder ici. En revanche, le thĂšme du feu suggĂšre plusieurs lapalissades qu’il faut quand mĂȘme partager. DĂšs que la tempĂ©rature baisse, la vie du groupe se passe naturellement autour du feu qui suffit Ă  rĂ©chauffer les corps et les cƓurs. Mais l’homme moderne et son Ă©quipement Ă  base de tissus de synthĂšse peuvent vite regretter ses choix vestimentaires, mĂȘme s’ils sont signĂ©s par les plus grandes marques ! DĂšs son arrivĂ©e au camp, Kim enfile sa tunique en peau de bĂȘte : 100 % naturelle, cousue Ă  l’aiguille en os avec du fil en boyau animal. L’image fera sourire l’homme moderne citĂ© plus haut. Sauf quand le feu se mettra Ă  crĂ©piter sĂ©vĂšrement, envoyant des morceaux des tisons aux quatre coins de l’assemblĂ©e, faisant des trous dans les doudounes et pantalons synthĂ©tiques
 Moralité : autour du feu, privilĂ©gier les vĂȘtements en fibres naturelles (coton, flanelle
). Eau, nourriture, feu. Tout y est. Le reste n’est qu’adaptation


Hors temps.

L’essentiel Ă©tant exposĂ©, le groupe se disperse pour ramasser du bois et commencer la cueillette qui seront les activitĂ©s principales de cette communautĂ© de 4 jours. La cueillette n’est plus qu’un simple passe-temps ludique. En fait, on mange ce que l’on trouve en continu, les quantitĂ©s n’étant pas suffisantes pour se rassasier. Les montres ont Ă©tĂ© enlevĂ©es le matin, mais il est dĂ©jĂ  difficile d’estimer l’heure en cette fin de premiĂšre journĂ©e. L’impression d’avoir tout le temps devant soi offre des sensations inhabituelles. On devient vite plus ouvert aux sons, aux odeurs, aux lumiĂšres. La tombĂ©e du jour rassemble naturellement le groupe autour du feu. Nouvelle mĂ©tĂ©o. Certains ont dĂ©jĂ  faim. L’inconfort relatif et le dĂ©nuement de ce camp de base semblent pousser chacun Ă  l’introspection. Les sensibilitĂ©s sont de plus en plus Ă  fleur de peau et les Ăąmes se dĂ©voilent. Tous les membres du groupe ont dĂ©jĂ  une affinitĂ© trĂšs forte avec la nature (peu de participants dĂ©barquent dans ce genre d’expĂ©rience sans une rĂ©elle envie de plonger dans le vert), mais on sent que la dĂ©marche tient plus du dĂ©veloppement personnel que de la technique primitive. Au fil des heures, les masques tombent et les natures se rĂ©vĂšlent. Les stagiaires ont tous un point commun : une quĂȘte de sens dans un monde qui ne leur convient plus. Nans et Kim rĂ©affirment leur objectif : crĂ©er une « vraie porositĂ© entre le stage et la vie rĂ©elle pour ramener tout cela dans son quotidien ». 

La nuit est froide et rend les corps un peu plus fatiguĂ©s et vulnĂ©rables le lendemain matin. Quelques grains de lavande sauvage et de thym feront office de thĂ© dans l’eau chaude. Le groupe s’est levĂ© avec le soleil. Il n’y a pas de train Ă  prendre. Juste trouver de quoi manger pour complĂ©ter les 3 galettes. L’initiation aux plantes se poursuit. Exploration d’un ruisseau pour chercher du « cirse ». La plante a seulement le goĂ»t d’herbe, mais elle est rĂ©putĂ©e trĂšs nourrissante. Dans une petite zone humide, des roseaux se balancent avec le vent. Kim nous explique que leur extrĂ©mitĂ© en forme de gros cigare est riche en amidon. Celui qui a la connaissance des plantes peut vivre et se soigner. Il Ă©vitera aussi la mort, car l’essai/erreur ne pardonne pas avec certaines espĂšces toxiques qui peuvent ĂȘtre fatales en quelques heures. Fin de la premiĂšre sĂ©ance d’initiation aux plantes. Kim sort un bout une corde d’une dizaine de mĂštres qu’il a lui mĂȘme tressĂ©e. Deux personnes se placent Ă  leur extrĂ©mitĂ©. Le but : faire tomber l’autre, les pieds joints en tirant sur la corde
 ou pas ! Le jeu resserre les liens du groupe. Il rappelle aussi que dans l’une des tribus les plus isolĂ©es d’Amazonie, seulement deux heures quotidiennes sont consacrĂ©es au « travail » (fabrication des flĂšches notamment). Le reste du temps est passĂ© ensemble, Ă  jouer avec les enfants. Aucun repas ne vient marquer la mi-journĂ©e. On grignote en permanence les pommes sauvages et les noisettes trouvĂ©es sur le chemin et l’on goĂ»te avec confiance Ă  tout ce que Kim atteste comestible. La nuit s’installe et le feu rĂ©unit le groupe pour une nouvelle « mĂ©tĂ©o ». Certains s’apaisent, d’autres souffrent ou craquent. La vie simple en pleine nature continue son effet : chacun expĂ©rimente une immense prise de recul sur son quotidien. Plus tard, Nans lance l’un de ses ateliers de prĂ©dilection. Sous la forme de sketchs jouĂ©s par chacun, il propose une rĂ©flexion sur le voyage sans argent. La mission du soir : demander un hĂ©bergement pour la nuit. Les analyses, styles et perspectives se confrontent et se complĂštent. Un objectif : oser et tenter sa chance. Un seul prĂ©requis : se « mettre dans les bottes » de l’autre pour comprendre et respecter ses peurs afin de dĂ©samorcer une relation tendue : l’utilitĂ© de faire un pas de cĂŽtĂ© pour voir les choses sous une toute nouvelle perspective.

Premiers gestes.

Nuit froide, feu et eau chaude rĂ©confortante, mĂ©tĂ©o du groupe de plus en plus touchante. Ainsi commence le nouveau jour. Le temps est toujours le luxe suprĂȘme. Nans et Kim ont bien un programme, mais il peut attendre. Un brin de toilette dans le ruisseau permet de mettre les conseils en pratique : limiter l’impact, mĂȘme s’il est Ă  priori minime. D’une roucoulade de pigeon, Nans rassemble la troupe. Autour du feu, Kim lance un atelier tandis que Nans rĂ©sume la derniĂšre rĂ©flexion du groupe : « il faut laisser plus de place Ă  l’écoute qu’à l’action et ne pas mettre l’action avant l’intention ». Pour illustrer le propos, il cite l’exemple des Indiens « Kogis » qui peuvent construire un pont, Ă  60, sans aucun chef, seulement aprĂšs s’ĂȘtre longuement concertĂ©s. Dans le silence du groupe perdu dans ses pensĂ©es, Kim sort une poignĂ©e de fibres naturelles que l’on trouve entre le tronc et l’écorce de certains arbres : le « liber ». Il roule la fibre entre ses doigts, puis la torsade pour former une petite ficelle dĂ©jĂ  Ă©tonnamment rĂ©sistante. TressĂ©es Ă  plusieurs, elles pourront devenir cordes. Pour l’homme moderne qui a tout oubliĂ©, la sensation de fabriquer un simple bout de ficelle donne l’impression d’avoir dĂ©couvert le feu ou l’AmĂ©rique ! Le pouvoir de crĂ©er quelque chose d’essentiel ! Un univers de possibilitĂ©s vient alors Ă  l’esprit : outils, arcs, sacs
 On est encore dans le symbole bien entendu, mais c’est aussi une immense satisfaction de pouvoir fabriquer quelque chose d’utile avec ses mains. Suis un atelier similaire de tressage de roseaux. MĂȘme impression d’avoir inventĂ© la roue ! La faim accĂ©lĂšre le raisonnement : tressage = panier = nasse = pĂȘche. Ou encore : contenant, rĂ©serve, construction, protection
 Cela peut sembler Ă©vident et naĂŻf, mais on rĂ©alise alors que les travaux pratiques valent toujours mieux que toutes les thĂ©ories, tout en faisant du bien Ă  l’estime de soi. Pour fĂȘter cela, la journĂ©e se termine par un bain de boue suivi d’un lavage revigorant dans les eaux gelĂ©es d’une cascade.

Le feu, la nuit, les chapatis cette fois agrĂ©mentĂ©s d’une compote de pommes sauvages, les exercices d’empathie
 Ainsi passe le temps inquantifiable de la communautĂ© des bois. Les projets s’affirment et se confirment : l’un est plus que jamais partant pour une annĂ©e de vie autonome dans les forĂȘts amĂ©ricaines. L’autre rĂ©alise que ses peurs l’empĂȘchent de s’envoler. L’autre encore ne subira plus son travail. Le lendemain, les deux animateurs de cette expĂ©rience de vie sauvage soumettront leurs poulains Ă  une ultime Ă©preuve : deux jours pour atteindre un lieu dont ils ne pourront connaĂźtre le nom qu’une fois entrĂ© dans la voiture les prenant en stop. C’est lĂ  qu’il va falloir utiliser les techniques de voyage prĂ©sentĂ©es autour du feu pour s’essayer Ă  la vie vagabonde : deux jours sans argent pour se dĂ©placer, manger et dormir ! Mais le sĂ©jour les a surmotivĂ©s. Quand on sait faire du feu et de la ficelle, rien ne peut plus vous arrĂȘter !

Que reste-t-il d’une telle expĂ©rience six mois plus tard ? « La grande dĂ©couverte a surtout Ă©tĂ© du cĂŽtĂ© du vagabondage, explique EugĂšne, Kim et Nans ont su me faire prendre conscience des liens entre la vie sauvage et la vie vagabonde. Ce qui m’a le plus marquĂ© c’est de voir que toutes les deux sont encore applicables en Europe aujourd’hui. Les exemples peuvent paraĂźtre anodins : accepter le sandwich de quelqu’un que l’on rencontre dans la rue, prendre le temps de discuter, rĂ©ussir Ă  faire douter des gens fermement ancrĂ©s dans leurs croyances en leur faisant rĂ©flĂ©chir par nos actions ». Bernard partage sa conclusion : « ce stage a renforcĂ© mon sentiment que tout est possible aussi bien dans la Nature que dans les contacts humains, pour peu que l’on soit ouvert Ă  ce qui se prĂ©sente ». AdĂšle rĂ©sume superbement l’effet de cette expĂ©rience  : « elle nous a permis de nous confronter Ă  nos limites, physiques et Ă©motionnelles, mais surtout d’écouter notre instinct : ce petit sauvage qui vit au fond de nous. Il mendie sa dose d’aventure et il n’est jamais trop tard pour l’écouter ». Mission accomplie pour Nans et Kim. VoilĂ  donc une dizaine de personnes « rĂ©ensauvagĂ©es ». Pour eux deux aussi la recherche continue. Leurs domaines de prĂ©dilection se complĂštent si bien. L’une des rĂ©flexions de Kim sonne comme un sujet de dissertation : « sauver la nature, c’est sauver chez l’homme sa nature humaine. Re-naturer ce qui est dĂ©naturé ! » Vous avez une vie pour ce travail